Il est marrant ce verbe. Si on se penche sur le Larousse, les définitions montrent à la fois qu’il est une action discrète ou tonitruante, qu’il se concentre autant sur l’extérieur (on s’échappe d’une prison) que sur l’intérieur (on s’échappe en soi). Ses synonymes sont autant « jaillir » et « s’évanouir ». S’échapper, c’est presque un oxymore.

Jusqu’à écrire ces lignes, je n’avais jamais réellement pensé à la puissance symbolique de ce verbe. Irai-je jusqu’à dire que c’est symptomatique de mon système de création : trouver du sens après avoir fait jaillir la forme brute. Á la base, je ne cherchais qu’une agglomération des mots « métro », « château » et « parc d’attraction ». Mé-Châ-Pa. Méchapa. M’échappa ! Ah tiens, ça tombe bien.(1/4)


Premier attrait : le dessin

Je ne viens pas d’une famille d’artiste – dans le sens où personne ne partage ouvertement l’art qu’il aurait pu créer. Mais si on gratte un peu sous le vernis, on s’aperçoit que chacun crée à sa manière. Je me souviens de ma mère qui dessinait des timbres sur des enveloppes, toujours la même forme, quand elle recevait un coup de téléphone. Mon père est plus dans la bidouille, à créer des choses de ses mains – d’un vélo couché jusqu’à notre maison.

Depuis tout petit, j’aime dessiner. En fait, je ne fais que répliquer les formes d’art qui m’impressionnent ou me questionnent le plus. D’un côté, la bande dessinée – j’ai imité, pas peu fier (et avec un certain talent !), les Tuniques Bleues, Léonard, le Scrameustache ou encore Bob et Bobette -, de l’autre, le folklore local.

Festin et danse, Sorcières et Terreurs

J’ai passé toute mon enfance à Ellezelles, en Belgique. De manière très schématique, si on trace une ligne droite entre Lille et Bruxelles, on tombe au milieu sur Ellezelles. C’est une commune de près de 6000 habitants, tout au nord du Hainaut, collée à la frontière linguistique avec la Flandre Orientale. Le village est au coeur du « Pays des Collines », donc on est loin du « Plat Pays » de Brel, et est connu pour ses manifestations folkloriques populaires.

Notamment, tous les derniers samedis de juin, se déroule à Ellezelles le « Sabbat des Sorcières ». Un spectacle son et lumière, avec feu d’artifice à la fin, qui fait la part belle aux sorcières du village (masques, fichus et balais en main) qui viennent parler de leur méfait annuel au Diable (libidineux, rouge et de cuir vêtu). Le spectacle se déroule toujours de la même manière : arrivée des sorcières, discussion sur les méfaits (qui sont toujours en lien avec des actualités locales), festin et danse (sur la musique de Fantasia), puis arrivée des villageois, on attrape une sorcière, elle est jugée et condamnée le plus souvent à mort.

Les sorcières d’Ellezelles prennent une place considérable dans l’espace local. Il y en a à la Boulangerie, sous forme de petite poupée ou de création sucrée, il y en a en bas relief sur la fontaine du village, il y en a même une, statue accroupie dans une ruelle, qui, si on lui donne 0,50€, vous fait pipi dessus – de l’eau, la plupart du temps, ou la bière locale, quand c’est la fête du village.

Et quand on est un petit garçon un peu timide et facilement impressionnable, les sorcières, elles ne sont pas nos amies. Elles font peur. Je me souviens de cette sensation de terreur, avant le Sabbat, quand j’étais à la maison et que j’avais peur qu’on vienne m’enlever. Donc, certainement pour exorciser cette peur, je me suis mis à dessiner. Beaucoup dessiner des sorcières. Des sabbats. Des vieilles dames au nez crochu, avec des vêtements en haillon, sur un balai, devant une pleine lune.

En témoigne ce « pog » que j’avais dessiné pour un concours Disneyland sur Notélé et qui montre une sorcière – même si vu la forme du « chapeau », il s’agit plus de la méchante fée de la Belle au Bois Dormant.

POG de Benoît qui représente une sorcière - fait à 4 ans pour un concours

Tu es un Sorcier, Harry

L’odeur des galettes, le tohu bohu des cousins encore en âge de croire en Saint Nicolas, et nous, les plus grands, déjà un peu désabusés mais quand même heureux de recevoir des cadeaux. Et là, « Tiens, Benoît, Saint Nicolas (wink wink) t’as apporté ça ».

Des livres ? Quatre livres … Un cartable, aussi. Et une trousse, et aussi un crayon et une gomme. Bon, je vais en faire quoi de tout ça. Il y a un H, un P, un éclair, un blason avec un lion et un serpent et on dirait un blaireau. Je remercie « Saint Nicolas », et ma tante – professeure de français à Bruxelles – m’explique que c’est Harry Potter, une série de livres sur un jeune garçon qui apprend qu’il est sorcier et qui vit des aventures dans une école de magie.

Voilà mon premier contact avec Harry Potter. Un matin de décembre dans la véranda de ma grand-mère. Je n’ai pas grand chose à faire de ce cartable (parce que j’en ai déjà un) et je n’ai jamais lu d’aussi gros livres … Ma grande soeur, Elodie, semble plus intriguée. C’est d’ailleurs elle qui les lit en premier.

Puis, un peu comme toute bonne série ou tout bon film, j’ai du mal à rentrer dedans. Je lis les premières pages sur les Dursley, ça ne m’enchante pas. Je crois qu’Elodie me dit que c’est bien et qu’il faut que je persévère. Et Dieu sait que j’ai persévéré.

Lire Harry Potter, tome 1, 2, 3, 4, attendre la sortie du 5, aller à Auchan, en France, pour avoir le 6, et dégommer les pages du 7 alors que je suis chez ma cousine, à Nanterre. J’ai été emporté par cette vague. J’ai lu, relu et relu encore les aventures du sorcier, ad nauseam, jusqu’à ce qu’on se dise que tout ce qui touche à l’univers Potterien est une valeur sûre comme cadeau pour moi.


Tu es un Magicien, Stuart

Je ne sais pas comment j’ai appris qu’il y aurait un film Harry Potter. Mais je l’ai su, et dès que je l’ai su, j’ai été excité par l’idée. J’avais le même âge que le héros, et l’envie certaine de recevoir ma lettre de Poudlard. Avec ma grande soeur, sur le terrain de notre nouvelle maison, on ramassait des branches et on les maniait comme des baguettes – et on se disait que combien ce serait trop cool d’aller au Chemin de Traverse.

Je ne m’attendais pourtant pas à un tel choc esthétique. Je me souviens avoir été subjugué par la première affiche qui annonçait le film. La silhouette du château m’absorbait complètement, m’obsédait, et comme pour m’échapper à l’intérieur de ces murs, je les dessinais, encore et encore. Je peux d’ailleurs encore aujourd’hui, et sans modèle, vous dessiner un plan « vu de haut » de Poudlard, ainsi que cette silhouette « vue du lac ».

Affiche d'Harry Potter à l'école des sorciers

Si je parle de Stuart, c’est évidemment pour mentionner Stuart Craig, le set designer de tous les films Harry Potter. C’est à lui et à ses équipes, ainsi qu’à la Chef Décoratrice Stephenie McMillan, que l’on doit cette avalanche graphique, gothique, dépareillée, cet univers sorcier qui nous parait comme étendu entre Dickens et Downtown Abbey. Mais c’est surtout à lui que l’on doit ce château merveilleux mais tellement réaliste. Dès la première ébauche, peut-être encore trop féodale et romantique, on reconnait là un caractère concret à l’architecture.

Première esquisse de Poudlard par Stuart Craig

Tu es un petit peu fou, Louis

Si je dois 80% de mon amour fou pour les châteaux – et l’architecture ! – à l’univers d’Harry Potter, je dois les 20% à ce qui se trouve au sud de la Bavière, à quelques centaines de mètres de l’Autriche, sur un piton rocheux qui veille jalousement sur son vallon et son lac. Je veux parler évidemment de la folie merveilleuse de Louis II de Bavière, Neuschwanstein.

Château de Neuschwanstein

Quand est-ce que j’ai découvert ce château pour la première fois ? Aucune idée. Etais-je déjà à ce point fan des parcs Disneyland que l’histoire de la création du premier parc, à Anaheim, m’a conduit jusqu’aux cols enneigés de la Bavière ? Je ne sais plus.

Ce que je sais, c’est qu’en termes de choc esthétique – et un peu comme l’aura été le château de Pierrefonds des années plus tard, grâce à la série « Merlin » -, il était certain que ce château existait, était visitable et pourtant représentait l’archétype d’un château de conte de fées. L’élégance de la pierre, de l’ardoise, des tours et des tourelles, le rythme parfait entre pics vers le ciel et ancrage dans la roche – cette construction m’a toujours bouleversée. Et encore plus depuis que j’ai appris son histoire, et le destin de son bâtisseur-rêveur, interné et mort noyé.

A cause de Poudlard et de Neuschwanstein, les châteaux que je dessine sont toujours concrets, élancés vers le ciel, sur une butte ou accrochés à une montagne. Et ils ont toujours quelque chose de lié à la magie, aux contes ou aux légendes …

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